Quels paysages sont encore possibles ? – Vers un cinéma cosmo-symbiotique

Un cinéma qui s’intéresse à l’environnement, c’est au moins, quelque part en lui, un cinéma qui s’intéresse à la question du paysage. Il se peut même que le paysage soit en vérité une question centrale à la construction d’un cinéma écologique : c’est en observant le visage de notre « maisonnée » (pour coller au grec oikos / οἶκος origine du « éco » de « écologie »), les vies et les dynamiques qui s’y déroulent, que nous pouvons réellement nous saisir et nous rendre compte, d’une manière indiciblement sensible et rationnelle, des enjeux réels qu’engagent nos modes de vie et d’organisation.

Le cinéma de paysage a donc ce potentiel d’être un cinéma écologique, un cinéma qui s’attache à filmer notre grand intérieur planétaire sur le régime, presque, du modèle le plus élémentaire, celui de la chambre : de cet espace-monde dont les plus simples reflets engagent directement l’intimité de celle ou celui qui l’investit, de sa sensibilité, de ses choix de vie et d’organisation.

Un des grands enjeux du cinéma de paysage est donc de transmettre, par un travail de cinéma, cette dimension signifiante ou révélatrice, qui n’émane pas naturellement de tous nos paysages, mais surtout qui est négligée par la considération commune que nous avons pour ces derniers. Il faut contrer une idée primaire qui consiste à croire que l’intérêt des paysages est limité, superficiel, insuffisant en consistance, et que ceux-ci ne puissent être réellement matriciels et absolus (choses qu’ils sont en réalité bien plus que la plupart de nos affairements humains).

L’idée de trouver, au contraire, une juste profondeur, une consistance du monde suffisante, dans la chose humaine seule est en vérité bien plus délirante. Elle omet que nous ne pouvons composer sans les paysages – et qu’il est impossible de s’extraire, même par négation, des questions qu’ils soulèvent. Elle nie les faits les plus immédiats de notre vie sur Terre en perpétuant les stratégies de silence et de marginalisation déjà à l’œuvre.

Composer un cinéma de paysage

L’importance des repérages, de l’appréhension des lieux, est évidemment renforcée dans la construction d’un cinéma sensible à la question du paysage. Il ne s’agit pas, naturellement, de se reposer sur les territoires et de simplement vouloir sublimer leurs plus naturelles émanations. L’enjeu est plutôt d’éprouver, subjectivement, la nécessité cinématographique de paysages donnés. Par cette entreprise relationnelle, qui vient motiver et habiter le travail de mise en scène, par cette proximité que nous tissons avec le territoire, cet engagement subjectif, rationnel, émotionnel, esthétique, nous ouvrons la porte à une meilleure considération du paysage, qui permet alors d’outrepasser de nombreux biais liés aux communs égards que nous portons envers ceux-ci.

Dans le sillon foucaldien, Masao Adachi et Masao Matsuda désignaient, à travers leur théorie du paysage (ou Fūkei-ron 風景論) la face cachée, l’impensé, qui règne sur nos environs les plus proches. Ainsi formulaient-ils : « Tous les paysages que nous voyons au quotidien, et surtout les beaux paysages reproduits sur carte postale, sont fondamentalement liés à une figure du pouvoir dominant. ». Intitulé que Masao Adachi mis en pratique à travers son film A.K.A. Serial Killer (1969), en retraçant l’itinéraire paysager de Norio Nagayama, jeune « tueur en série ». Ce film très puissant met en tension différents axes, psychologiques, sociologiques, et démontre, d’une manière poétique mais surtout ingénieuse, stratégique, que nos paysages ne sont évidemment pas des lieux dépolitisés, neutres ou secondaires, et qu’ils sont, sans aucun doute, tout le contraire.

«  La Fukeiron se base ainsi sur l’idée que tout paysage est une énonciation de rapports de force ; le paysage est une organisation, qui répond à des impératifs logistiques, économiques, politiques… C’est avant tout un ensemble régulé et façonné par des enjeux de société. Il traduit des rapports de classe, et personne n’y échappe (Masao Adachi se demande d’ailleurs, dans son livre Le bus de la révolution passera bientôt près de chez toi quel paysage ses camarades et lui-même peuvent bien représenter pour les paysans à qui ils montrent leurs films d’avant-garde, sans en être toujours compris). Selon Yuriko Furuhata : « Dans le discours de la Fukeiron, le paysage entretient une relation antithétique avec les images dramatiques et spectaculaires de la violence et de la lutte des militants qui ont dominé les médias de masse ainsi que l’imagination politique des étudiants activistes. Le paysage devient un centre privilégié d’analyse et de critique des représentations médiatiques de la violence pour les critiques autant que pour les réalisateurs. » » – Hugo Paradis-Barrere AKA Serial Killer, ou l’impossible alias : la marge comme envers de la représentation

Ce paysage comme « centre privilégié d’analyse », comme territoire antithétique aux imaginaires nourris par le pouvoir dominant, recoupe précisément ce qui nous intéresse dans la construction d’un cinéma écologique – à la différence que, pour nous, le paysage est le sujet même de notre révolution. Tout l’enjeu de la mise en scène est alors de ne pas reproduire, de ne pas ratifier implicitement, le message aliénant des territoires les plus maîtrisés. Il faut, aux moyens de l’expression cinématographique, suggérer, donner quelque part à voir ou à sentir les forces destructrices qui opèrent : engager, par des jeux de cadre, d’échelle, de mouvement, par des jeux de contexte, d’ambiance, de son, de dynamique, par le visage même de nos images, par des trucages, une visibilisation des paysages en eux-mêmes, de ce qui s’écrit sur leurs chairs, de l’ampleur et de la nature des dynamiques à l’œuvre, de ce qui les façonne et les a façonné.

Il faudrait par exemple réussir à filmer le Palais de l’Elysée en tant que cet édifice bâti grâce à la fortune du plus riche négrier de France, ancien hôtel particulier devenu entre temps résidence présidentielle, avec l’histoire plus récente que nous lui connaissons. Les images qui nous en parviennent ont très rarement cette charge et cette considération pour ce qui fait « maisonnée ». Il faut dire que, la plupart du temps, ces images sont d’ordre gouvernementales ou journalistiques, télévisuelles, et que les cinéastes qui parviennent à y tourner sont trop rarement celles ou ceux qui entretiennent un intérêt réel pour ces questions – filmant souvent l’Elysée en tant que scène du spectacle politique, euphémisations aussi conséquentes que violentes.

Cela nous montre bien qu’il se tient là un enjeu particulièrement cinématographique, puisqu’il est affaire de regard, de considération et d’usage d’un médium et d’un langage dont les cinéastes sont les plus éminents artisans. Il y a un travail de conscience, d’humilité, d’attention, qui doit s’engager pour donner reflet, dans nos images en mouvement, de ce que sont réellement nos environnements, de la nature précise de nos paysages.

Quels paysages sont encore possibles ?

« Masao Adachi se demande d’ailleurs […] quel paysage ses camarades et lui-même peuvent bien représenter pour les paysans à qui ils montrent leurs films d’avant-garde, sans en être toujours compris. »

Comme en témoigne Adachi, même celles et ceux dont le travail est précisément d’être sensibles au paysage (ici des paysans), peuvent rester, en tant que spectateurs et spectatrices, en dehors d’une proposition qui, malgré d’éventuelles connivences sur le fond, ne correspond formellement pas à ce qui leur est possible de ressentir et d’appréhender. Pour des travaux dont la fin n’est pas la recherche et l’expérimentation, la construction d’un bon cinéma de paysage ne suffit pas : il faut se poser des questions d’accessibilité et donc d’incarnation. Si le paysage est le corps, à quel autre corps (qui nous ressemble physiquement davantage) peuvent s’attacher celles et ceux qui n’ont encore acquis la sensibilité et le regard pour adhérer, sans détour, aux paysages-mêmes comme proposition cinématographique ?

Adachi se demande ici quels paysages filmer, mais il ne se demande pas, pour rendre ces paysages possibles à l’audience désirée, quels corps filmer, quels récits filmer. Dans son film A.K.A. Serial Killer, Masao Adachi filme bien des corps, parfois avec beaucoup d’attention, mais ceux-ci demeurent les composantes passagères des paysages qu’il traverse. Il y a bien également un récit, et un corps, celui du tueur Norio Nagayama, dont nous suivons l’itinéraire. Ce récit et ce corps sont volontairement émargés, fantomatiques, puisqu’il va de la démarche même du film d’exploser la focalisation dominante et de placer en son centre les paysages en eux-mêmes, pour miroiter avec plus d’exactitude et de richesse ce que sont réellement ce corps et ce récit. C’est pour cela qu’avec sa question Adachi ne revient pas, et à juste titre, sur ses partis pris, sur ses réflexions mûries, qui fondent sa radicalité, sa force politique mais surtout la cohérence de son projet. L’interrogation qu’il aurait réellement fallu poser face à ce blocage auprès d’une audience serait finalement « Quels autres films composer, pour rendre ces paysages et cette radicalité possibles ? ».

Nous nous engageons ainsi pleinement dans cette autre radicalité politique qu’est l’éducation, et plus particulièrement l’éveil d’une sensibilité (ici, environnementale). Contrairement à ce que proposent de trop nombreux films écologistes, une telle germination ne peut opérer sur la simple base d’une confrontation aux faits et aux enjeux qui entourent « notre » situation et « notre » manque de conscience. D’autant que ce « notre » employé est souvent excluant, puisqu’il demeure trop fréquemment occidental, anthropocentré, blanc et perpétue donc en lui-même les schémas verticaux, violents et coloniaux qu’il prétend dépasser (beaucoup ont déjà conscience de ces réalités, les subissent). Ce cinéma écologiste ne cherche pas réellement à contribuer au développement de notre attention pour les entours et les paysages : il dispose de cette même attention au profit d’un exposé, d’une démonstration, d’une désignation. C’est un écueil extrêmement pesant au sein d’un certain cinéma politique contemporain (qui est également un cinéma politique trop certain) basé sur l’exposition démonstrative d’une réalité, d’une conviction et non sur le dialogue avec l’âme de son audience. L’audience en question peut même, face à certains de ces films, se retrouver captive, dans l’impossibilité de se mouvoir comme elle l’entend au sein de cette œuvre, ou dans l’impossibilité de trouver une issue quelle qu’elle soit. Ce cinéma-là cherche à diffuser son endroit de certitude. Or, comme le rappelait Jean-Luc Godard lors de son entrevue virtuelle avec le critique et documentariste indien C. S. Venkiteswaran pour le festival international du film du Kerala (traitant, pour sa part, de la distribution tout court, au cinéma) « Si vous voulez, distribuer du pain est bien. Mais le produire est encore mieux. » Sous d’autres termes, diffuser une pensée écologique, très certainement, mais tout l’enjeu est bien de la produire – d’autant que nous observons bien aujourd’hui que l’idée écologique est plutôt bien répandue, mais que son pendant sensible, sa consistance dans le réel, peine à faire incliner notre monde dans son sens.

Le cinéma dont je suggère de faire projet, visant à proposer de développer une considération pour l’environnement, une attention nécessaire aux entours, aux paysages, se veut être, dans un premier temps au moins, un cinéma humainement incarné. Les natures seules sont tentantes, et ce « contre-geste » peut sembler paradoxal, mais tout l’enjeu est justement de faire en sorte que cette présence humaine soit intégrée aux logiques des paysages et qu’elle amène à penser celles-ci, à y être sensible. Il s’agit d’outrepasser la dissociation commune entre le corps et l’environnement, et de proposer ainsi des représentations plus symbiotiques et plus justes de notre rapport au monde. Cela ne peut se faire, dans le cas d’un film, qu’aux moyens du médium cinématographique, c’est-à-dire là où le cinéma peut accompagner, dans son domaine de compétence, qui n’est pas la démonstration mais qui est plutôt le fait, comme d’autres arts mais d’une autre manière, de proposer un regard, de travailler la conscience, de laisser des espaces inédits à nos sensibilités… Et nous rejoignons là, très rapidement, des questions de pure mise en scène. Je propose de les laisser pour une fois à chacun et à chacune, et de survoler dès à présent quelques modèles possibles, quelques clefs, quelques régimes de construction d’un tel cinéma.

Cinémas documentaires de l’attention au paysage

Un premier cadre d’élaboration pour une telle proposition est naturellement le cadre documentaire. Il revient de trouver, dans la réalité, des situations qui permettent de relater des enjeux environnementaux, les liens inaliénables qui constituent le tissu du monde et qui nouent les corps les plus agités aux acteurs les plus inertes. Cette fenêtre vers l’évidence impensée doit justement permettre d’entendre et de sentir à quel point ces différents destins sont profondément entrelacés, interdépendants, entredéterminés : à quel point le paysage, les choses humaines et non-humaines, sont naturellement des entités poreuses, aux bordures indécises.

Le filmscape fait en la matière figure de cas plus absolu, où le paysage, devenu plein sujet, révèle par lui-même cette absence de frontière entre tout ce qui s’y croise, des choses les plus statiques aux choses les plus vivaces. Ainsi, tous corps indistinctement inclus dans le paysage, un espace d’attention nous est offert pour observer les natures et les dynamiques de paysages donnés, en leur sens le plus large et le plus inclusif possible. C’est ce que propose très bien Mani Kaul avec son court-métrage Before my eyes, filmant de nombreuses facettes de la vallée du Cachemire, sans faire de flagrante distinction ou de jugement entre ce que nous identifions conventionnellement comme lié à l’activité humaine et ce que nous pensons relever d’une nature plus primaire. C’est ainsi qu’il nous porte, d’un plan à l’autre, d’un extérieur boisé où surgit une montgolfière, à un intérieur où une large fenêtre surmontant deux corps assoupis nous fait bénéficier de la suite de l’action (et d’encore plus de contexte sur ce qu’est ce paysage – car un paysage est naturellement aussi constitué par ses intérieurs). Un autre exemple très éminent de filmscape revient sans doute au maître James Benning dont la trilogie californienne (El Valley Centro, Los, Sogobi) trace une étude topographique d’une rare richesse et d’une rare puissance évocatrice de ce que nous appelons le « golden state », si bien qu’il en brosse un plus juste portrait que le tout venant, pourtant pléthorique, du cinéma californien (et vient approfondir et pousser encore plus loin les excellents travaux de films tels Water and Power de Pat O’Neill, pour le cas de Los Angeles). Enfin, le filmscape est sans doute un qualificatif adapté pour A.K.A Serial Killer de Masao Adachi, que nous évoquions. Cette forme, plus radicale, a peut-être une limite de public, comme je l’évoquais, mais elle est nécessairement à étudier, à considérer et à, dans une moindre mesure, manipuler, pour infuser une proposition « moins absolue » sur ce plan paysager de gestes dignes et semblables.

L’enjeu est alors d’articuler ces plongées autour d’individualités clefs, le cas le plus évident étant sans doute les intermédiaires paysanniers. C’est ce qui se remarque très bien dans les films de Shinsuke Ogawa et son équipe. Dans le village de Furuyashiki par exemple, c’est bien la situation de ces paysans, face à une récolte difficile en raison d’un climat froid, qui attire le projet du film-même et qui, par l’entretien avec les cultivateurs, par l’observation permet ensuite de s’adonner plus pleinement à l’écoute et à l’étude de ces paysages. En l’occurrence, la caméra nous propose même d’accompagner l’étude scientifique de cet environnement, de ses fonctionnements (comme le déplacement des vents froids à travers la vallée, l’influence des arbres, des vallonnements) et de l’influence sur les autres formes de vivant (le riz, mais aussi les habitants et habitantes du village). La petite échelle et le modèle artisanal permettent, dans les films d’Ogawa, d’entrer dans des totalités abordables, où l’interfonctionnement des paysages et des différents vivants en action est plus intelligible et plus assumé (en plus bien sûr de défendre un contre-champ puissamment politique). Le travail de la terre n’est pas un travail anodin. Il peut être le point révélateur de nos relations aux environnements et aux vivants. Des modèles industriels, comme celui de la banane en Martinique, filmé par Florence Lazar dans Tu crois que la terre est chose morte, permettent de révéler la violence de relations chimiques (l’usage du Chlordécone), coloniales et économiques, face auxquelles il convient de raviver une culture plus immédiate, liée aux pratiques locales silencées et marginalisées, pourtant plus résilientes, considératrices et harmonieuses. Si l’humain tient, dans ce film, le premier rôle, et que c’est à ses modèles d’action que nous sommes sensibles, le paysage, maintenu en second plan, n’en est pas pour autant oublié tant il figure en tant que « cadre interagissant » et tant les corps à l’image sont sans cesse en interaction avec celui-ci. Naturellement, n’importe quel intermédiaire sensible peut, en vérité, nous aider à échafauder un film documentaire plongeant vers les paysages. On se souviendra notamment d’Aimé Césaire, Le Masque des mots, film de Sarah Maldoror où l’approche du poète, écrivain et homme politique, conduit à plonger dans les montagnes martiniquaises (et à les penser).

Cette question de « trouver une incarnation intermédiaire » peut, de plus en plus, sembler idiote ou limitante. Pourquoi attendre quelque chose du réel ? Pourquoi ne pas construire une incarnation adaptée aux lieux que nous désirons explorer avec notre cinéma ? Des formes plus abouties d’incarnations-vectorisantes ne se trouveraient-elles pas dans des récits construits sur mesure ? Dans des fictions pensées d’après et pour le paysage ? Comme l’ont montré des cinéastes tels Hou Hsiao-hsien, Jia Zhangke ou Bi Gan, cette initiale sensibilité à un lieu, à une conjecture, à un réel, peut très bien s’épanouir à travers une relecture plus personnelle, encadrante, soignée et attentive.

Vers un cinéma cosmo-symbiotique

C’est en partant de cette base documentaire, de cette réalité que je propose donc d’investir plus proprement des formes fictives. Ce « cinéma cosmo-symbiotique » est, plus étymologiquement, un cinéma de « monde cohabitant », le cinéma d’un « monde de vivants liés ». C’est par l’exploration de cette idée symbiotique globalisée que peuvent naître des formes de pensée et de considération plus incluantes et décloisonnées.

Ces imaginaires, déjà présents différemment dans nombre de cultures animistes (dont je connais principalement les éclats japonais), peuvent aider à ré-apprendre à voir une partie du monde et de son fonctionnement omise par la logique dominante. Ce que traduisent notamment des cinéastes comme Shin’ya Tsukamoto ou Shozin Fukui, c’est bien la pénétration et l’aliénation des corps par le grand Tokyo et la « décennie perdue » des années 90 (plus insidieusement encore que la métaphore des hommes champignons proposée par Ishiro Honda avec Matango en 1963). Les pores des peaux humaines n’ont rien de barrières, tout environnement nous imprègne, et inversement. Filmer les corps devient aussi une façon de filmer les paysages (dans un sens retour à A.K.A Serial Killer, qui nous proposait l’inverse). La possibilité d’un cinéma éco-logique peut alors s’épanouir d’une manière peut-être plus vivace, mais encore trop rare, dont le cinéma de Gakuryū Ishii serait un très riche et très intéressant prototype avec des films comme Tokyo Blood, ou avec son œuvre maîtresse August in the water, que je tiens personnellement pour modèle de cinéma environnemental transcendantal.

Ces nouvelles représentations peuvent permettre d’apprendre à ressentir ce « monde-lié », à mieux le regarder, mais également à mettre en lumière les terres d’accueil de corps hybrides et minoritaires que peuvent être les espaces de nature et certaines autres cavités d’eau dormante qui composent nos paysages. Il se joue là une révolution du regard qui n’est pas qu’écologique mais qui entend enrôler en elle-même un regard plus fin et plus respectueux sur son entours. Élaborer des regards qui entendent revaloriser ce que notre imaginaire a négligé, distingué, séparé, pour unir, révéler et sentir le monde en lui-même, et créer des imaginaires soignants, des récits de cicatrisation.

Imageographie (Ordre d’apparition)

スワロウテイル Suwarōteiru / Swallowtail Butterfly (Shunji Iwai, 1996)
風櫃來的人 Fēngguì lái de rén / Les Garçons de Fengkuei (Hou Hsiao-hsien, 1983)
The Inland Sea (Lucille Carra, 1991)
Bouquets 11-20 (Rose Lowder, 2010)
柳川堀割物語 Yanagawa horiwari monogatari / L’histoire des canaux de Yanagawa (Isao Takahata, 1987)
水の中の八月 Mizu no naka no hachigatsu / August in the water (Gakuryū « Sōgo » Ishii, 1995)
指圧王者 Shiatsu ōja / The Master of Shiatsu (Gakuryū « Sōgo » Ishii, 1989)

Œuvres évoquées

略称・連続射殺魔 Ryakushō : renzoku shasatsuma / A.K.A. Serial Killer (Masao Adachi, 1969)
Before my eyes (Mani Kaul, 1989)
El Valley Centro (James Benning, 1999)
Los (James Benning, 2001)
Sogobi (James Benning, 2002)
Water and Power (Pat O’Neill, 1989)
ニッポン国 古屋敷村 / Nippon koku : Furuyashiki-mura (Shinsuke Ogawa, 1982)
Tu crois que la terre est chose morte (Florence Lazar, 2019)
Aimé Césaire, Le Masque des mots (Sarah Maldoror, 1987)
Tokyo Blood (Gakuryū « Sōgo » Ishii, 1993)
水の中の八月 Mizu no naka no hachigatsu / August in the water (Gakuryū « Sōgo » Ishii, 1995)

Mais également les travaux des cinéastes Hou Hsiao-hsien, Jia Zhangke, Bi Gan, Shin’ya Tsukamoto, Shozin Fukui…


Paru depuis…

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