Le confinement et la démolition d’un des lieux-clefs du scénario sur lequel je travaillais à la sortie de mon premier film paru cet année, L’ARBRE ET LA MATIERE (produit en 2019), m’ont conduit à tourner précipitamment un film le 16 mars 2020, sans acteurs ou actrices, si ce n’est la silhouette d’une amie qui m’accompagnait alors.
Ces images, tournées sous un écrasant soleil de fin d’hiver, parcourent les strates architecturales et les entre-lieux de bitumes inhabités qui constituent la couture à peine dissimulée des environs de l’esplanade de La Défense. Elles se sont mêlées à un travail vidéo entamé pour un cours, où nous étudions l’œuvre et les gestes de Carole Roussopoulos, interrompu par le confinement. Ainsi, ce film débute sur ces images presque abandonnées, avant de dévoiler un monde qui ne leur est ni postérieur, ni antérieur. L’occasion de quelques loisirs printaniers, à la fin du mois de mai, et la découverte de rushs abandonnés depuis bientôt un an, ont enrichi le montage d’une dernière dimension, plus incarnée.
Il en résulte ce film intitulé LES CILS DE L’APOCALYPSE, paru en ligne au mois de juin 2020 : Substitut des films que je planifiai de faire, étude de certains possibles, de certaines uchronies, de réels parallèles, étude sur l’espace et la destruction, à l’image de ce monde mobile dans lequel je plongeais obstinément, à l’étape de montage, confinée entre les murs de mon appartement. J’ignorais alors ce que tous ces lieux que j’avais filmés étaient devenus.
J’ai ainsi débarqué dans l’été avec un film fraîchement terminé, sans avoir hélas mené de front d’autres projets cinématographiques. Ne parvenant à écrire de trame solide, et ne voulant faire tourner qui que ce soit sans projet tangible, j’ai erré cet été sur des lieux qui m’avait manqués. J’ai rendu visite à ces rives d’Oise et de Marne qui captivent si obstinément mes derniers gestes cinématographiques. Ces images obligatoires, vouées à n’être faites que pour moi, m’ont travaillée pendant les mois qui ont suivi. Je cherchais encore à construire les scénarios de mes prochains projets dans un monde qui bascule sans discontinuer à chaque ligne écrite. Il fallut ce deuxième confinement pour m’inviter à penser à faire vivre ainsi ces images et ces paysages que vous allez voir, ou que vous venez de voir, au sein de ce film intitulé L’ASSÈCHEMENT DES SOLS.
Parmi les nombreuses références absentes à son générique, il y a celle d’AUGUST IN THE WATER de Sogo Ishii. Ce film, découvert pour ma part en juillet 2019, m’a hantée tout depuis, et m’habitai déjà depuis les premiers extraits que j’en eus croisé, à l’automne 2017. Cette œuvre, prodigieuse dans ces émanations, dans ce que dégagent ses musiques, ses couleurs, ses mouvements de caméra, son récit, ses séquences, engage, par un mouvement intérieur, sensible, transcendantal, une impulsion vers l’extérieur, une connexion à la planète Terre, remède face à la destruction.
Il me fallait aborder de plus près cette connexion à la nature, à ces natures qui peuplent les lieux qui me touchent, et que j’ai toujours, dans mes films, regardées de manière détournée. Cela ne rentrait pas dans mes débuts de scénario, mais cela pouvait s’écrire avec ces images orphelines : tentatives de connexion à cette zone parallèle, spirituelle, fertile, périphérique…
Mes deux films produits cette année, LES CILS DE L’APOCALYPSE et L’ASSÈCHEMENT DES SOLS, regardent chacun leur solstice respectif. Le premier sort de l’ombre, retrouve enfin les rayons solaires, et se compose un corps sous les briques qui s’effondrent. Le second laisse place, une fois l’hiver présent à nouveau, aux zones fertiles qui pouvaient subsister, aux seuils humides des rivières, aux zones inondables, aux périphéries plus ou moins travaillées par la main humaine. À tout ce qui pourrait s’assécher mais ne se laissera pas faire. À ces hybrides, ces lieux non-binaires, ces espaces que je comprends et qui m’ont aimablement m’accueillie pour y faire des films. Viendra peut-être demain l’épanouissement du temps politique qu’ils ont entamé.
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